Seul le prononcé fait foi
Messieurs les secrétaires d’Etat,
Monsieur l’Ambassadeur,
Monsieur le directeur général de la Foire du Livre de Francfort,
Mesdames, Messieurs,
Je me réjouis d’être parmi vous ce soir pour fêter cette
traditionnelle « Soirée française du cinéma » dans le cadre de la
Berlinale et de pouvoir distinguer à cette occasion, au nom de la
République française, trois personnalités éminentes et sympathiques du
cinéma allemand : Birgit KOHLER, Daniel BRÜHL et Max RIEMELT.
Mais, avant de prononcer leur éloge, je voudrais souligner que, si cette
soirée constitue une tradition, l’année 2017, elle, ne sera pas une
année comme les autres pour les échanges culturels franco-allemands. Au
mois d’octobre prochain, la France sera, comme vous le savez, l’invitée
d’honneur de la Foire au Livre de Francfort, pour la première fois
depuis 1989. Et c’est une véritable année française en Allemagne que
nous avons voulu célébrer à l’occasion de ce « Francfort en Français »,
et que j’ai le plaisir d’ouvrir symboliquement ce soir.
Ce cycle exceptionnel d’événements culturels placera la création, sous
toutes ses formes, la langue et la jeunesse au cœur de la relation
franco-allemande. Car cette relation si forte, indispensable au bon
équilibre et sans doute aujourd’hui à la pérennité du projet européen,
ne peut pas reposer seulement sur la conscience d’intérêts partagés.
Elle exige que nous sachions partager des émotions et des goûts, que
notre dialogue se nourrisse de celui des penseurs et des artistes, que
notre jeunesse soit inspirée par des rêves et des aspirations voisines.
Toutes les formes de création seront donc mises à l’honneur dans le
cadre de cette Année, à commencer par le cinéma, à l’occasion de cette
Berlinale, mais aussi l’art contemporain lors de la Dokumenta de Kassel
ou les musiques actuelles lors du Reeperbahn Festival de Hambourg. Quant
à la littérature d’expression française, elle ne sera pas seulement
présente à Francfort, mais partout en Allemagne, au festival de Cologne
comme lors de la foire de Leipzig, qui accueillera une « Nuit du
Polar », dans les instituts français comme dans le remarquable réseau
des LiteraturHaus.
Ces manifestations seront notamment l’occasion de constater comment
l’âge numérique a bouleversé les conditions de création et de diffusion
des œuvres, en France comme en Allemagne. Partout, la technologie ouvre
des possibilités radicalement nouvelles à l’artiste, comme elle
multiplie pour le spectateur les modalités d’accès aux oeuvres. Mais
l’arrivée du numérique doit nous inviter également à faire preuve de
vigilance afin de protéger les droits des créateurs et de préserver les
conditions d’une authentique diversité. La France et l’Allemagne
travaillent de concert pour atteindre ces objectifs de politique
culturelle et les faire partager en Europe et dans le reste du monde.
L’Allemagne et la France ont ainsi réaffirmé, en 2016, le rôle clé que
joue le droit d’auteur comme fondement de l’activité de création et
source de vitalité des secteurs culturels et créatifs en Europe et dans
l’environnement numérique.
C’est la raison pour laquelle la modernisation du cadre européen du
droit d’auteur, qui est en cours de négociation à Bruxelles, doit être
intégrée à une véritable stratégie européenne pour la culture à l’ère
numérique. Je rappelle que les industries culturelles et créatives
représentent 4% du PIB européen. Nous devons donc avoir à l’esprit non
seulement de favoriser l’accès des consommateurs aux œuvres mais aussi
de soutenir la création, la diversité des contenus, la juste
rémunération de ceux qui créent et la pérennité des dispositifs vertueux
de soutien.
La question du partage équitable de la valeur reste plus que jamais essentielle.
La diversité des œuvres est inséparable de la merveilleuse richesse de
nos langues. C’est pourquoi nous devons continuer à soutenir
l’enseignement du français en Allemagne et l’enseignement de l’allemand
en France. « Francfort en français » sera l’occasion de rendre plus
familière encore au public allemand une langue parlée sur les cinq
continents et désirée par les nombreux auteurs, de toutes origines, qui
l’ont choisie pour s’exprimer : d’Alain MABANCKOU, conseiller de la
manifestation, à Patrick CHAMOIZEAU, de Yasmina REZA à Leila SLIMANI,
prix Goncourt 2016, d’Andrei MAKHINE au regretté Tzevan TODOROV, disparu
voici quelques jours.
La venue de 350 auteurs francophones en Allemagne sera aussi l’occasion
de magnifiques échanges avec les écrivains allemands. Depuis le siècle
des Lumières, ils ont pris l’habitude de correspondre et de se traduire
les uns les autres, des deux côtés du Rhin. Ainsi, GOETHE a-t-il traduit
Le Neveu de Rameau de DIDEROT; RILKE traducteur de Paul VALERY a
traduit lui-même en français ses propres œuvres ; André du BOUCHET a
fait découvrir Paul CELAN en France tandis que Walter BENJAMIN
s’emparait de BAUDELAIRE. Je veux donc rendre hommage aux passeurs
d’aujourd’hui, écrivains, traducteurs, éditeurs et critiques, grâce
auxquels plus de 1200 titres français ont été traduits et édités en
Allemagne l’an passé.
La même logique d’échange et de collaboration prévaut bien entendu entre
nos deux pays dans le domaine du cinéma. Je vois que les productions et
coproductions françaises sont particulièrement nombreuses cette année
au programme de la Berlinale. Le nombre des coproductions, en
particulier, montre que la France demeure au cœur de l’industrie
cinématographique mondiale et qu’elle est au service de sa diversité.
Pas moins de 10 films français présents à Berlin ont ainsi bénéficié du
programme « cinéma du monde » du CNC et nous révèlent des talents venus
du Sénégal, de Roumanie ou du Portugal. Et 8 autres films ont été
coproduits par la France et l’Allemagne, dont deux ont bénéficié d’une
aide spécifiquement franco-allemande dans le cadre du traité signé entre
nos deux pays le 17 mai 2001. Ces beaux résultats doivent aussi
beaucoup à la politique d’ARTE qui a tant fait, depuis 25 ans, pour
rapprocher nos créateurs, nos entreprises et nos institutions
culturelles.
C’est à la Jeunesse de nos deux pays que nous devons confier la tâche de
poursuivre la construction de cette Europe de la diversité, de
l’échange et de la traduction. Le succès de cette Année culturelle
française en Allemagne repose donc en grande partie sur ses épaules. Je
veux remercier ce soir l’Office franco-allemand pour la Jeunesse et
l’Université franco-allemande pour leur engagement dans cette aventure.
Alors que le souvenir de la guerre – qui avait porté le désir de
réconciliation et de paix des générations précédentes – s’estompe, alors
que la tentation du repli sur soi s’insinue sur notre continent, nous
comptons sur les jeunes Français et Allemands pour incarner la confiance
dans la poursuite du projet européen.
Ce sont les mêmes valeurs de curiosité, d’ouverture, d’engagement
européen, que nous célébrons ce soir, en distinguant trois personnalités
qui les incarnent tout particulièrement.
La République française a souhaité les honorer et c’est pourquoi je vais
à présent leur remettre les insignes de Chevalier dans l’ordre des Arts
et Lettres. Cet ordre a été créé par André MALRAUX, ministre de la
culture du général de Gaulle, pour « les personnes qui se sont
distinguées par leur création dans le domaine artistique ou littéraire
ou par la contribution qu'elles ont apportée au rayonnement des arts et
des lettres en France et dans le monde ».
Je vais leur demander de me rejoindre, l’un après l’autre, sur cette
estrade et de me permettre de faire, trop brièvement, leur éloge.
Chère Birgit KOHLER,
A travers votre parcours, c’est une certaine idée de la culture qui est
célébrée, faite d’ouverture sur le monde, d’engagement politique et
social, et surtout d’un profond amour pour les œuvres.
Dès 1990, vous avez pris part à plusieurs groupes de réflexion sur le
cinéma, et organisé des conférences et des débats autour de la
thématique « Cinéma, féminisme et théorie », au sein notamment de
l’Université libre de Berlin. Peu de personnalités représentent mieux
que vous le foisonnement intellectuel et artistique du Berlin des années
1980 et 1990. C’est de cette époque que date votre engagement dans la
programmation du KINO ARSENAL, que tous connaissent aujourd’hui sous le
nom d’Arsenal – Institut du Film et de l’Art vidéo. Vous en êtes depuis
2004 l’une de ses trois directrices artistiques. Votre programmation a
fait découvrir aux Berlinois les films qui ont fait l’histoire du cinéma
mondial, mais vous leur avez également présenté des créations
nouvelles, venues de tous les pays. C’est la créativité du monde qui a
ainsi été accueillie par votre institution.
Dans sa richesse et sa diversité, votre travail me semble avoir été guidé par quatre ambitions majeures.
Vous avez d’abord voulu permettre au plus grand nombre d’accéder au
meilleur du cinéma. Vous y êtes parvenue par une programmation
exigeante, mais toujours soucieuse de pédagogie Vous avez complété cette
démarche par la création d’une base de données qui rend accessible à
tous la collection des films de l’Arsenal, ainsi que par le lancement
d’un nouveau site web qui contribue à réinventer la présentation des
films et de l’art vidéo.
Parallèlement à cette mission patrimoniale, vous avez ouvert votre
Institut aux formes les plus innovantes de l’art vidéo et du cinéma.
Peut-être est-ce votre sélection pour la section « Forum » de la
Berlinale qui manifeste le mieux votre intérêt pour le renouvellement de
ces arts : toutes les tendances, les explorations formelles, le cinéma
d’art et d’essai sont mis en valeur dans cette section du festival qui
vous doit beaucoup.
Le féminisme et la sensibilité aux questions politiques constitue une
autre caractéristique de vos travaux, souvent consacrés au cinéma
documentaire contemporain. Votre programmation vous a aussi permis de
faire mieux connaître le talent des réalisatrices que vous aimez,
notamment Chantal AKERMAN, Claire DENIS ou Agnès VARDA.
Enfin, la francophilie est un trait constant de vos choix : vous avez
fortement contribué à faire apprécier du public allemand de grandes
figures du cinéma français, comme Eric ROHMER, Sandrine BONNAIRE, Alain
RESNAIS, ou Robert BRESSON, auxquels vous avez consacré de nombreux
hommages. Votre participation à la semaine du film français de Berlin
joue elle aussi un rôle crucial pour sa réussite.
Chère Birgit KOHLER,
Vous incarnez un idéal de culture ouverte aux échanges. Votre engagement
au service du cinéma européen, ainsi que l’importance de votre
contribution à la diffusion de la culture française en Allemagne,
méritent notre reconnaissance.
C’est pourquoi, au nom de la République Française, nous vous faisons de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.
Cher Daniel BRÜHL,
Vous êtes né à Barcelone en 1978, d’une mère espagnole et d’un père
allemand : vous avez grandi à Cologne, et avez tourné en Europe et dans
le monde entier.
Vous représentez la génération pour qui l’Europe est une évidence.
Evidence de la diversité des langues, que vous pratiquez en famille
comme dans votre travail. Evidence de la mobilité et des belles
rencontres que permet le cinéma et qui fait que vous êtes aussi célèbre
en France qu’en Allemagne, au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis. Evidence
des valeurs d’ouverture et de diversité que vous défendez.
A nouveau, je me contenterai de rappeler quelques étapes majeures de
votre carrière déjà longue. En 2001, vous avez incarné dans DAS WEISSE
RAUSCHEN (le son blanc) un jeune homme atteint de schizophrénie. Votre
interprétation vous a valu en 2001 le Prix bavarois du meilleur espoir
masculin, confirmé l’année suivante par le titre de meilleur acteur lors
de l’attribution du Prix allemand du film.
En 2003, le personnage d’Alexander dans Good Bye Lenine ! vous rend
mondialement célèbre. Vous y jouez le rôle d’un jeune homme qui cache
tendrement à sa mère, clouée au lit, la disparition de la RDA. Nous
avons tous ri et pleuré devant cette histoire touchante qui a réveillé
en nous les souvenirs de la chute du Mur. Vous incarnez ainsi depuis
2003, cher Daniel BRÜHL, aux yeux de beaucoup de Français, la
« révolution pacifique » de 1989.
En 2005, vous interprétez dans Joyeux Noël de Christian CARON le rôle
d’un officier allemand qui participe aux fraternisations de Noël 1914,
bref moment d’humanité survenu alors que l’Europe s’enfonçait dans la
Première guerre mondiale. Les Allemands et les Français sont unis dans
sa commémoration, qui se poursuit cette année, et votre rôle, cher
Daniel BRÜHL, a contribué à rendre vivant le souvenir de cet épisode
trop souvent oublié.
En 2005 encore, vous êtes dans Les dames de Cornouailles un violoniste
polonais recueilli sur une plage anglaise : après avoir parlé allemand,
français et anglais, vous adoptez le langage de la musique en vous
initiant au violon.
Votre carrière a pris depuis une dimension mondiale, notamment grâce à
votre rôle dans Rush de Ron HOWARD. Si vous travaillez souvent aux
Etats-Unis, vous ne délaissez pas les productions européennes, dont
certaines portent sur les épisodes les plus sombres de l’histoire
allemande. Vous avez ainsi joué en 2016 dans l’adaptation du
chef-d’œuvre antinazi d’Hans FALLADA, Seul dans Berlin.
Cher Daniel Brühl,
Vous contribuez magistralement au rayonnement de la culture
cinématographique en France, en Allemagne, en Europe et dans le monde. A
travers vos rôles vous êtes un passeur d’émotions et un conservateur de
la mémoire franco-allemande.
C’est pourquoi, au nom de la République Française, nous vous faisons de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.
Cher Max RIEMELT,
Vous êtes aujourd’hui un jeune talent très apprécié du grand public et sollicité par les plus grands réalisateurs.
Dès votre enfance, passée à Berlin-Est, vous avez éprouvé une sorte de
vocation pour les métiers de la scène. Vous avez fait vos débuts à onze
ans en intégrant la troupe de théâtre de votre école. Quelques années
plus tard, vous avez décroché le rôle principal dans la série ZWEI
ALLEIN, avant de faire en 2001 vos premiers pas sur la scène
internationale grâce à votre collaboration avec le réalisateur Dennis
GANSEL.
Celui-ci vous a offert en 2004 le rôle principal dans son drame NAPOLA –
ELITE FÜR DEN FÜHRER, qui vous vaudra le titre de Shooting Star
allemande au Festival international de Berlin en 2005. Vous avez ensuite
poursuivi votre collaboration avec Dennis GANSEL, notamment pour son
film La Vague, cette évocation troublante des mécanismes du
totalitarisme, salué dans toute l’Europe comme l’une des meilleures
créations allemandes de 2008.
Votre filmographie est si riche qu’il est impossible de la retracer ici
dans son intégralité. Pour m’en tenir à certaines de ses étapes les plus
remarquables, je rappellerai le film franco-suisse de Barbet SCHROEDER,
Amnesia, où vous donnez la réplique à Marthe KELLER. Cette œuvre offre
une réflexion profonde sur la mémoire, intime et collective, sur
l’appréhension de l’histoire et de ses séquelles. Située à Ibiza,
l’intrigue présente, à travers la rencontre de cultures musicales
différentes, le contraste entre les expériences historiques de deux
générations allemandes. Amnesia a été présenté aux festivals de Cannes
et de Locarno.
Cher Max RIEMELT,
Vous êtes un grand comédien et vous êtes aussi un ami de la France. La
distinction que je vous remets ce soir n’est donc pas un prix
supplémentaire, mais un témoignage d’admiration pour l’ensemble de votre
œuvre et pour votre contribution au rayonnement des arts en Allemagne
et dans le monde.
C’est pourquoi, au nom de la République Française, nous vous faisons de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres.
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